Valérie RODET
Psychothérapeute et psychanalyste Paris 9

Valérie RODET, Psychothérapeute et Psychanalyste à Paris 9

LES SECRETS DE FAMILLE


Le mot na pas franchi mes lèvres

Le mot na pas touché mon cœur

Est-ce un lait dont la mort nous sèvre

Est-ce une drogue une liqueur

 

Jamais je ne lai dit quen songe

Ce lourd secret pèse entre nous

Et tu me vouais au mensonge

 A tes genoux

 

Nous le portions comme une honte

Quand mes yeux n’étaient pas ouverts

Et les tiens à la fin du compte

Demandaient pardon d’être verts

 

Te nommer ma sœur me désarme

Jai trop respecté ton chagrin

Le silence a le poids des larmes

 Et leur refrain

 

Puisque tu dors et que leurs rires

Ne peuvent blesser ton sommeil

Permets-moi devant tous de dire

Que le soleil est le soleil

 

Que si jai feint cest pour toi seule

Jusqu’à la fin fait linnocent

Pour toi seule jusquau linceul

 Caché mon sang

 

Javais naissant le tort de vivre

Jirai jusquau bout de mes torts

La vie est une histoire à suivre

Et la mort en est le remords

 

Ceux peut-être qui me comprennent

Ne feront pas les triomphants

Car une morte est une reine

 A son enfant

 

 

 

Ce poème est intégralement construit autour du mot « maman », que Louis ne s’est jamais donné le droit de prononcer.

 

Enfant naturel et adultérin de Marguerite et de Louis, un homme marié et respectable, ancien préfet notable de 33 ans son aîné et ami du grand-père de Marguerite, l’enfant prénommé Louis était destiné à « disparaître », comme on disait. Mais Marguerite, amoureuse, a tenu à le garder.

 

S’élabore alors un roman familial autour du petit Louis : il serait un enfant orphelin dont les parents auraient été victimes d’un accident de voiture en Espagne, et sera adopté par Claire, la mère de Marguerite.

Louis, son père, en deviendra le parrain et lui choisira un nom de territoire aimé du temps où il était ambassadeur, Aragon. Ainsi la grand-mère de Louis devient sa mère, sa mère devient sa sœur, ses tantes ses sœurs et son oncle son frère.

En 1917, Marguerite TOUCAS lève le secret et apprend à Louis ARAGON que Louis ANDRIEUX est son père. Il a 20 ans, il est mobilisé et Marguerite craint pour sa vie, elle ne voudrait pas qu’il meure sans savoir.

 

Marguerite écrira des romans de gare…… Louis, entre autres choses, écrira toute sa vie et notamment le poème ci-dessus.

« J’ai passé ma vie à n’être pas celui qu’on cherchait en moi », dira-t-il.

 

« Fils unique, j’ai longtemps eu un frère ».

Ainsi commence le livre écrit par Philippe GRIMBERT intitulé « Un secret », par une phrase énigmatique qui fait apparaître un « fantôme », pour reprendre un concept dû aux psychanalystes Maria TOROK et Nicolas ABRAHAM, c’est-à-dire une production « sur un sujet du secret inavouable d’un autre ». Le livre va tramer l’histoire d’un secret et la levée du refoulement, l’existence d’un frère aîné mort et passé sous silence dans un contexte traumatique où la tragédie de la guerre a brisé des familles, où les histoires, petites et grandes, s’entremêlent.

Le roman, familial, est finalement devenu roman tout court.

 

En pensant au secret de famille, je me suis imaginée comme un vieux meuble à tiroirs verrouillés (Il y a en a d’ailleurs qu’on appelle des « secret-taire »…)

Un vieux meuble relégué dans un coin isolé de la maison, auquel un sujet, un enfant disons, n’aurait pas accès. D’ailleurs qui sait où est cachée la clef ? Il passe devant sans vraiment le voir, mais quelquefois il dessine une ombre sur le mur. De toute façon il lui est interdit de l’ouvrir. Il ne sait pas ce qu’il y a dedans et il ne faut même pas en parler de ce meuble. Et surtout, il a bien compris qu’il n’a pas intérêt à tenter de l’ouvrir. Car il pourrait s’attirer les foudres du parent, ou bien le rendre très malheureux.

Pas touche ! Et interdit d’en parler !

Il se peut qu’on finisse par ne plus le remarquer, ce meuble, il fait partie de la maison mais sans y être vraiment. Certes, il est embarrassant mais on ne peut pas s’en débarrasser.

C’est comme si il n’existait pas. Mais un beau jour, peut-être au détour d’un jeu, l’enfant bute dedans, et il entrevoit l’angle d’un papier jauni bien intriguant, les fils colorés d’un vieux tissu qui dépasse, le bout d’un décor sur une photo froissée … ça fait signe… ça peut faire fantasmer… , se poser des questions…. C’est vrai, il y avait bien quelque chose qui clochait !…..

Peut commencer alors, potentiellement, une longue investigation personnelle et familiale, et la mise en route d’un travail de symbolisation qui va véritablement bousculer l’ensemble des habitants de la maison.

 

Un secret de famille est à la fois quelque chose qui n’est pas dit ET dont il est interdit de connaître même l’existence, dit Serge TISSERON.

Ce n’est pas tant le contenu du secret qui est pathogène pour l’enfant pris dans le secret, mais plutôt les processus qui le soutiennent.

 

 

Le film Carré 35, d’Eric CARAVACA est un témoignage et une enquête. L’histoire d’une quête de vérité sur une sœur aînée, morte à 3 ans, enterrée dans un lieu qui n’avait jamais été nommé. Qui était cette sœur, dont on a cherché à effacer toute trace, toute représentation ?

Il ouvre peu à peu tous les tiroirs de ce meuble-à-secrets dont je parlais tout à l’heure, et déroule tous les rouages de ce tissage familial construit et entretenu le plus souvent tacitement selon des mécanismes inconscients.

 

 

(texte écrit et présenté par Valérie RODET pour une matinée ciné-débat animée par V.RODET organisée le 27 juin 2019 par le SSE94 – Association Olga Spitzer en présence de Philippe GRIMBERT et Marie-Noëlle CLEMENT)

 

 

Filmographie associée et non exhaustive :

 

  • « Incendies », de Denis Villeneuve – 2010

(d’après la pièce « Incendies » de Wajdi Mouawad, 2003)

  • « Festen », de Thomas Vinterbert – 1998

  • « Un secret », de Claude Miller – 2007

(d’après le roman « Un secret » de Philippe Grimbert, 2004)

  • « Tout va très bien, ne t’en fais pas », de Philippe Lioret – 2006

  • « Fai bei sogni «  (Fais de beaux rêves), de Marco Bellocchio – 2016

  • « Grâce à Dieu », de François Ozon – 2019

  • « Secrets et mensonges », de Mike Leigh - 1996


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